
Invité de l’émission Ultimatum sur Seneweb, Alioune Tine, fondateur d’Afrikajom Center et défenseur des droits humains, a salué la première sortie officielle de la ministre de la Justice, Yacine Fall, qui a visité la maison d’arrêt de Rebeuss. Pour M. Tine, cette visite constitue « un acte symbolique fort » au regard de l’état des lieux des prisons sénégalaises qui, selon lui, interpelle la conscience nationale.
Un établissement surpeuplé et des conditions inhumaines
Le militant a rappelé la situation dramatique de Rebeuss, marquée par un taux d’occupation proche de 300 %. « Rebeuss a été construite à l’origine pour des chevaux. Aujourd’hui, les détenus vivent dans des conditions inhumaines », a-t-il dénoncé, évoquant des cellules exiguës où les personnes sont « entassées », comparaison qu’il a poussée jusqu’à l’image des esclaves embarqués vers les Amériques pour illustrer l’extrême promiscuité et la déshumanisation des lieux.
Urgence de réformer la politique pénale
Alioune Tine a pointé la lenteur de la justice et l’usage excessif de la détention provisoire, aggravés selon lui par le manque de magistrats et d’avocats. « Cela retarde les procédures et alimente la surpopulation. Il faut revoir en profondeur notre politique pénale. La prison doit être une mesure de dernier recours », a-t-il plaidé, appelant à des alternatives à l’emprisonnement et à une accélération des processus judiciaires.
Risque de radicalisation et nécessité de réhumaniser la détention
S’appuyant sur le rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, qu’il cite qualifiant les prisons sénégalaises de « poudrières », Alioune Tine a mis en garde contre les conséquences sociales et sécuritaires possibles : « Si vous enfermez de jeunes artisans robustes, des tailleurs ou des maçons, ils peuvent finir par réfléchir à utiliser leur force autrement. Il faut réhumaniser la détention. »
Justice politisée et rapport changeant avec la société civile
Au-delà des conditions matérielles, le fondateur d’Afrikajom Center a dénoncé la politisation de la justice sénégalaise. « C’est une justice politique qu’il faut changer. C’est ce qui rend difficile la distinction entre reddition des comptes et règlements de comptes », a-t-il déclaré, soulignant que la confiance dans l’appareil judiciaire est essentielle pour garantir l’équité et prévenir les abus.
Alioune Tine a enfin évoqué les relations fluctuantes entre la société civile et les autorités : « Quand les politiques sont dans l’opposition, ils sont à l’écoute de la société civile. Mais une fois au pouvoir, tout change. Ce rapport de méfiance n’est pas nouveau. » Il a appelé à un dialogue franc et soutenu entre les pouvoirs publics et les organisations de la société civile pour engager des réformes structurelles et humaines du système pénal.
La visite de la ministre Yacine Fall ouvre, selon plusieurs observateurs, une fenêtre d’opportunité pour lancer des améliorations concrètes. Reste à savoir si des mesures rapides et structurelles seront prises pour alléger la surpopulation carcérale, accélérer les procédures judiciaires et améliorer les conditions de détention à Rebeuss et dans les autres établissements du pays.