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Chers Honorables députés du peuple,
Le dépôt d’un projet de loi sur les titres de séjour pour les étrangers par un député nationaliste appelle une réflexion approfondie, notamment au regard des engagements du Sénégal en matière de coopération et d’intégration africaine. Cette étude vise à présenter des arguments solides, fondés sur des principes juridiques, économiques, sociétaux et diplomatiques, pour s’opposer à un texte qui, par son caractère restrictif, risquerait de nuire aux relations sous régionales, à la coopération sud-sud et à la cohésion sociale de notre pays.
- Arguments Diplomatiques et Géostratégiques
- Respect des engagements sous-régionaux et internationaux : Le Sénégal est signataire de conventions internationales et régionales (CEDH, pactes de l’ONU, accords de l’UEMOA et de la CEDEAO) garantissant la protection des droits des étrangers. Un durcissement unilatéral des conditions de séjour serait contraire à cet esprit ;
- Relations avec l’Afrique : Une politique restrictive enverrait un signal négatif aux autres pays africains, avec lesquels le Sénégal joue un rôle majeur dans l’engagement panafricain. Cela pourrait affaiblir notre leadership en matière de développement, de sécurité et de mobilité des personnes de notre cher continent ;
- Image du Sénégal : Une loi perçue comme discriminatoire ternirait l’image de notre pays (terre de la TÉRANGA) comme pays des droits de l’Homme et terre d’accueil, affaiblissant son soft power sur le continent.
- Arguments Économiques
- Contribution des immigrés africains : Les migrants africains, surtout limitrophes, participent activement à l’économie sénégalaise (travail, consommation, création d’entreprises). Selon les études de l’OCDE, ils contribuent à la richesse nationale et comblent des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs clés (santé, BTP, services) ;
- Mobilité des talents : Les étudiants, chercheurs et entrepreneurs africains sont essentiels à l’innovation et au dynamisme économique. Des restrictions décourageraient ces profils, au profit d’autres pays européens ou asiatiques ;
- Coûts administratifs et de contrôle : Une politique trop stricte entraînerait des dépenses publiques supplémentaires (surveillance, expulsion, traitement des dossiers) sans gain économique avéré pour un pays pauvre comme le Sénégal.
- Arguments Sociaux et Culturels
- Intégration et cohésion sociale : Des conditions de séjour instables ou précaires nuisent à l’intégration des migrants, en limitant leur accès au logement, à l’emploi stable, à l’éducation et à la santé. Cela peut générer des situations d’exclusion, contraires aux valeurs républicaines ;
- Enrichissement mutuel : La diversité culturelle issue des migrations africaines est une richesse pour la société sénégalaise (arts, littérature, gastronomie, sports). La fermeture irait à l’encontre de cette dynamique d’échange ;
- Regroupement familial : Le droit à une vie familiale normale est un principe fondamental. Le restreindre, quel que soit l’origine du migrant aurait des conséquences humaines profondes, sans régler les causes des migrations.
- Arguments Juridiques et Éthiques
- Principe de non-discrimination : Une loi ciblant spécifiquement certaines nationalités ou certaines catégories de migrants serait contraire au principe d’égalité devant la loi, garanti par la Constitution et les traités internationaux ;
- Proportionnalité des mesures : Toute restriction doit être proportionnée à un objectif légitime (ordre public, sécurité). Un durcissement généralisé serait disproportionné et pourrait être contesté devant le Conseil constitutionnel ;
- Droits fondamentaux : Le droit d’asile et la protection des vulnérables (mineurs, victimes de persécutions) doivent rester intacts. Un texte trop large risquerait de les fragiliser ;
- Principe de la réciprocité : le principe de réciprocité en matière de titres de séjour signifie que les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants sénégalais vivant à l’étranger peuvent, dans certains cas, dépendre des traitements accordés par le Sénégal aux ressortissants étrangers.
- Arguments en Faveur d’une Approche Alternative
- Promouvoir une immigration régulée et solidaire : Plutôt que de fermer les portes par des titres de séjours, il faut développer des partenariats avec les pays africains pour organiser des flux légaux et lutter contre l’immigration irrégulière (co-développement, visas circulaires, formations) ;
- Renforcer l’intégration : Investir dans l’apprentissage, l’accès à l’emploi et la reconnaissance des diplômes serait plus efficace pour l’intégration que des mesures purement restrictives ;
- Dialoguer avec la société civile : Associer les associations, les entreprises et les diasporas à l’élaboration des politiques migratoires permettrait des solutions plus équilibrées et pragmatiques.
Le projet de loi en question, s’il vise à répondre à des préoccupations sécuritaires ou identitaires, ne prend pas en compte les multiples dimensions de la relation entre le Sénégal et l’Afrique. Une politique migratoire juste, humaine et réaliste doit concilier la maîtrise des flux avec le respect des droits, la promotion de l’intégration et le maintien de partenariats stratégiques.
Nous appelons donc les parlementaires à rejeter ce texte et à œuvrer pour une approche plus équilibrée, conforme aux intérêts du Sénégal et à ses valeurs d’ouverture et de solidarité qui est le socle de notre TÉRANGA.
- Argument Sécuritaire et de Stabilité : Prévenir l’Explosion d’une « Bombe Sociale Silencieuse » et son Instrumentalisation Dangereuse
Au-delà des principes, une politique migratoire éclairée représente un impératif de stabilité nationale et de sécurité régionale. Les données révèlent un risque systémique majeur : la massification du phénomène NEET (Not in Education, Employment, or Training) ou encore (Ni éducation, ni emploi, ni formation). Cette « bombe sociale silencieuse » ne constitue pas seulement une tragédie économique et humaine ; elle représente une vulnérabilité politique exploitable, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour la cohésion sociale et les relations internationales.
- Le risque NEET : Un terreau d’instabilité avéré
- Une génération sacrifiée : Au Sénégal, 1,5 million de jeunes (32% des 15-24 ans) sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation. Ce désœuvrement forcé crée une masse critique de frustration, prête à s’enflammer ;
- Corrélation avec l’effondrement étatique : Les statistiques sont sans appel. Lorsque le taux NEET dépasse 40-50%, comme en Somalie, au Yémen ou en Afghanistan, il corrèle avec la déliquescence de l’État, l’émergence de violences politiques et la propagation de l’extrémisme. Un chômage juvénile structurel est l’un des principaux indicateurs avancés d’instabilité chronique.
- Le piège nationaliste : Instrumentaliser la frustration, attiser la xénophobie
L’histoire récente de l’Afrique australe offre un scénario-cauchemar qu’il faut absolument éviter. Confrontés à des défis socio-économiques similaires (chômage massif des jeunes, inégalités), des courants nationalistes et populistes en Afrique du Sud ont systématiquement désigné les migrants africains (notamment nigérians, zimbabwéens) comme boucs émissaires responsables de tous les maux.
Les conséquences en sont connues :
- Explosions de violence xénophobe récurrentes, meurtrières et destructrices ;
- Dégradation profonde des relations diplomatiques et commerciales avec des partenaires stratégiques de la sous-région comme la Guinée, le Mali ou la Mauritanie ;
- Effondrement de la solidarité panafricaine au profit d’un nationalisme agressif et stérile ;
- Cercle vicieux : La violence et l’expulsion des travailleurs migrants étrangers n’ont jamais résolu le chômage local ; elles ont au contraire ruiné des secteurs économiques, isolé diplomatiquement le pays et détourné l’attention des véritables réformes structurelles nécessaires.
- Une politique restrictive aggrave le risque et offre des armes aux démagogues
Adopter une législation restrictive sur les titres de séjour dans un contexte de forte tension sur le marché de l’emploi des jeunes serait une erreur stratégique catastrophique :
- Elle validerait un narratif toxique : Elle suggérerait que le « problème » vient de l’étranger, offrant une solution simpliste et factuellement fausse à une question complexe. Elle légitimerait le discours xénophobe ;
- Elle créerait de nouvelles vulnérabilités : En fragilisant les communautés migrantes établies et productives, elle générerait de l’insécurité juridique et sociale, créant ainsi les conditions de tensions communautaires ;
- Elle nous isolerait régionalement : À l’heure de l’intégration continentale (Zlecaf), adopter une posture de repli enverrait un signal désastreux de défiance et affaiblirait notre leadership et notre influence.
La « bombe sociale » NEET est réelle. La question n’est pas de savoir si sa frustration sera exploitée, mais par qui et à quelle fin. Laisser le champ libre aux nationalistes pour qu’ils instrumentalisent cette détresse au service d’un agenda xénophobe est un choix politique aux conséquences potentiellement irréversibles. La seule réponse responsable et stratégique est de désamorcer la bombe par l’inclusion, la mobilité et la coopération.
Une politique migratoire intégrée, associée à des programmes ambitieux de formation et de création d’emplois pour tous les jeunes, Sénégalais et résidents, permet de :
- Priver les démagogues de leur carburant principal : la colère d’une jeunesse sans perspective ;
- Renforcer la stabilité interne en favorisant la cohésion sociale et l’activité économique ;
- Consolider notre position de leader africain bâtisseur de ponts, et non de murs.
Recommandations aux Parlementaires :
Rejeter ce projet de loi, c’est refuser de jouer avec le feu des divisions ethniques et sous-régionales. C’est choisir la voie de l’intelligence collective, de la solidarité panafricaine et de la sécurité à long terme, fondée sur la justice économique et l’intégration, non sur l’exclusion et la peur.
- Saisir la commission des affaires étrangères pour une analyse des impacts diplomatiques.
- Organiser des auditions avec des experts économiques, des représentants africains et des acteurs de l’intégration.
- Proposer des amendements de substitution en cas d’examen du texte, visant à protéger les accords de coopération et les droits fondamentaux.
- Promouvoir un débat public large et apaisé sur l’immigration et l’intégration.
Ignorer les réalités démographiques et le désespoir d’une jeunesse sans perspective est un pari risqué dont les conséquences — montées des extrémismes, instabilité chronique, vagues migratoires de détresse — dépassent largement les frontières. Une politique migratoire intelligente et solidaire est l’un des instruments pour prévenir la création de futurs « no man’s land » et bâtir, avec l’Afrique, un espace de prospérité et de stabilité partagée. Rejeter ce projet de loi restrictif, c’est aussi faire le choix de la prévention sécuritaire à long terme.
Dr Alpha Ousmane AW Président Mouvement Téranga Sénégal : Chemin de la Prospérité

