Aujourd’hui que l’on se plaint du contenu creux des discours des hommes politiques. Aujourd’hui que le manque d’éthique est une des choses bien partagées dans ce milieu. Aujourd’hui que la malhonnêteté intellectuelle et la conduite aux antipodes de l’honneur ou que sais – je, balisent la voie de nombre d’hommes politiques dans leur quête effrénée de l’atteinte de leurs objectifs, une des exceptions à cette triste et vile règle, se retire de la sphère politique. Alors que l’on louait ses qualités humaines eu égard aux discours de vérité qu’il avait l’habitude d’asséner, urbi et orbi, lorsque les circonstances le commandaient, pour ne pas citer l’exemple de son propos à l’endroit du Président de la République, lors des échauffourées qui ont secoué notre pays, au mois de mars dernier, Maitre Alioune Badara CISSÉ, rend l’âme et appauvrit le landerneau politique d’un modèle.
ABC, comme on affectionne à l’appeler, était tout simplement une sentinelle mais aussi un parangon de vertus dans l’échiquier politique sénégalais. Que nous soyons du côté du pouvoir ou pas, on l’aime ou on ne l’aime pas. Mais force est de reconnaitre que l’homme est indéboulonnable du chemin de droiture qu’il s’est tracé dans la vie, consistant à abhorrer la fine bouche, à toujours dire la vérité, arc – bouté sur ses valeurs et principes dont la quintessence repose sur une foi inébranlable en Dieu.
Ce membre fondateur de l’Alliance Pour la République dont l’indépendance d’esprit est connu de tous, a enseigné, par sa pratique de tous les jours, que le destin de la personne humaine n’est tributaire que de l’omnipotence du Seigneur au point que nul n’a le droit de faire dans la bassesse, de se compromettre ou de se renier face à une difficulté ou à une quelconque hiérarchie sur terre. Pour dire tout simplement qu’altruiste et humaniste, il a traité sur le même pied tous les hommes, quels que soient leur rang social, leur obédience religieuse, leur profession ou autres. Ce qui n’est point étonnant dès lors qu’il a été abreuvé aux sources du « Mouridisme » dont il est un fervent talibé.
Avocat de profession et avocat des causes justes, cet éminent intellectuel a attiré mon attention, à la lecture d’une de ses interviews qu’il avait accordée au journal Le Messager dans une de ses livraisons de l’année 2003. C’est alors qu’à une période incertaine qu’il réclamait le départ de monsieur Idrissa SECK de sa station de numéro deux du parti libéral et de celle qu’il occupait dans l’appareil d’État. C’était étrange, dans la mesure où ce dernier faisait la pluie et le beau temps dans le PDS, or donc, le défier ouvertement avec des arguments si solides, ne pouvait relever que d’un esprit libre émanant d’un homme de conviction, de courage et de tête, insensible aux sinécures.
De la lecture de son éloquent curriculum – vitae dont il avait fait état dans cet entretien, naquit un profond respect que je lui vouais, depuis lors. J’en appris que l’homme est allé à la conquête du savoir et en a défriché une foultitude de chantiers où il a creusé ses sillons. Dès lors, au fil du temps, au gré des événements politiques, sociaux et j’en passe, ses prises de position tranchaient d’avec la langue de bois.
De son riche parcours académique entre le Sénégal, la France, l’Ecosse et les Etats unis d’Amérique, ce disciple du savoir a glané moult parchemins dans les méandres des lettres ; je dis en anglais, en français, en espagnol mais aussi du droit, discipline qui fit de lui cet éminent avocat, titulaire d’un doctorat et premier prix d’anglais au Concours général, édition 1977.
De retour au bercail, ABC, officia entre autres, comme secrétaire général du Gouvernement, directeur de cabinet du Ministre des sports, Ministre des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l’extérieur et Médiateur de la République. Pour autant, il enfila sa robe d’avocat à chaque fois qu’il quitta une de ses stations républicaines.
Au-delà de cet honorable parcours et en sus des qualités citées supra, un des mobiles de cet hommage est engendré par un acte à lui posé et qui mérite d’être porté à la connaissance de l’opinion publique sénégalaise. C’est pour dire qu’il y a un peu moins d’une vingtaine d’années, que le sort croisa nos chemins. Lorsqu’un proche eut maille à partir avec la justice consécutivement à une erreur judiciaire qui l’emmena à la citadelle du silence, ABC me fut recommandé pour assurer la défense de ce dernier. La formalité des honoraires de deux cent milles francs réglée auprès de son cabinet, sis à l’avenue Albert Sarraut, une mésentente, probablement, issue d’une incompatibilité d’humeur inhérente à une lenteur de procédure entre nous, entraina la rupture dudit contrat
Ainsi, ayant vainement tenté la réconciliation, son comptable me remboursa la somme. Et paradoxalement, Maitre CISSÉ se présenta le jour du procès, faisant équipe avec une certaine Maitre Geneviève Lenoble, une amie de l’accusé. De sa station assise, il se leva sans se rendre vers le prétoire, à l’image de ses collègues, et comme portée par une porte – voix, sa voix retentit aussi fort que le moins attentionné dans la salle d’audience fut obligé de suivre sa plaidoirie. Un propos distillé dans un français châtié, une syntaxe taillée sur mesure et un vocabulaire de puriste, il lança des arguments juridiques dans une cohérence et une fluidité que même le non initié au droit comprit avec aisance.
Maitre Alioune Badara CISSÉ, venait de convaincre le tribunal que les faits reprochés à son client ne reposaient sur aucune base juridique au point que, subséquemment, ce dernier fut disculpé au prononcé du verdict du président du tribunal, qui ordonna la mise en liberté immédiate du prévenu.
Toute honte bue et impressionné, à la fin du procès, je me dirigeai vers lui, mes compagnons avec, pour lui exprimer toute notre gratitude et le féliciter de sa brillante prestation qui m’a rappelé celles d’éminents ténors du barreau ; je parle de Maitre Boucounta DIALLO, Maitre Sidiki KABA, Maitre Yérim THIAM et j’en passe. Dans une exquise humilité corrélée à un sourire déconcertant, il nous lança comme une rengaine : « C’est notre frère, il fallait le défendre. », tout en nous distribuant de chaleureuses poignées de mains. De ce service rendu avec désintéressément, je venais de découvrir une autre facette du personnage de ce grand Sénégalais. Quelle générosité !
Aussi, à l’occasion d’un mémorial organisé par un frérot du quartier et ancien footballeur professionnel, Paul SÈNE, dédié à ses pairs disparus, et dont je fus le parrain de la première édition concernant feu Pape Demba Sampil dit Vieux, ancien pensionnaire du Centre Aldo Gentina, ABC a eu l’honneur d’être le parrain de la deuxième édition, deux ans plus tard. Lors de sa présentation aux hôtes du jour, arrivé à mon niveau, je lui fis subrepticement un bref rappel de cette largesse : « Heureusement pour moi », me rétorqua – t – il, dans une ferveur propre aux talibés.
Voilà exprimé en quelques mots, le pourquoi de cette homélie que m’a dictée ma conscience de mortel dès lors que j’ai pensé aux injonctions du prophète de l’islam quant au comportement à adopter eu égard à la disparition d’un de de nos pairs. Toutefois, il m’est un devoir de rappel sinon d’information sur les qualités, les valeurs, les principes qui ont guidé la vie d’un compatriote qui s’est sublimé aussi bien en politique que dans la vie de tous les jours au point de pouvoir servir de modèle à la jeunesse, aux séniors, aux hommes politiques, je dis, au Sénégalais lambda, pour dire vrai !
À son Excellence, Monsieur le Président de la République, à l’ensemble de ses familles biologique et politique, je présente mes condoléances attristées.
Que la terre de Touba lui soit légère !
« Inna lilahi wa inna ilayhi raj’oun »
« Allahouma ighfirlahou warhamhou »
Mes respects cher maitre !
Mame Abdoulaye TOUNKARA